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.Aussi l’enfance d’Aimery avait-elle été marquée par cette situation insolite.Il avait vite tout connu de sa propre genèse.Son père, le tenant par la main, lors de leurs longues marches sur les routes d’Occitanie, lui avait raconté leur histoire des milliers de fois.Ce père que, très tôt, Aimery avait appris à comprendre, à aimer.Il avait appris à respecter sa souffrance passée.Il le chérissait, comme il chérissait le souvenir de cette mère qu’Escartille n’avait cessé de lui peindre sous un jour si passionné, si adorable ; il ne la connaissait que par les mots dont Escartille avait usé pour la lui représenter ; il s’était fait d’elle sa propre image, Louve, une image sublime d’amour, de fougue et de bonté.Avec la beauté naïve de l’enfant qui méconnaît l’âpreté de la réalité vécue par ses parents, il parait leur aventure de toutes les qualités, il y projetait ses propres rêves.Il se plaisait souvent à penser que Louve continuait de cheminer à côté d’eux.— C’est aussi ce que je m’imagine, lui avait dit Escartille, un jour qu’Aimery s’était ouvert à lui de ce sentiment.Aimery avait vite appris.Les lois du trobar, l’art d’aimer, les vertus de la courtoisie ; le chant, la poésie, le maniement de la vièle et du rebec, la passion pour les lettres et la musique.La philosophie, bien sûr, du moins celle qu’Escartille s’était construite, et qui avait rencontré celle de la religion cathare.Il lui avait appris ce qu’était le Mal.Il lui avait montré ses différents visages, comment le reconnaître, apprendre à l’éviter, parvenir à le vaincre, parfois.Il lui avait raconté le poème de la Création, la déchéance de Satan, la corruption du monde et ses étincelles de beauté ; il lui avait enseigné le sens des rituels, du consolament et du melhorier.Il lui avait expliqué les batailles des deux Églises, celle de Rome et celle qu’il représentait, et comment leur affrontement, loin de se nouer à partir de la seule réalité des choses matérielles, avait trouvé sa source dans la nature de leurs options de pensée.Lorsque Escartille avait commencé ses prédications, il juchait son fils sur ses épaules, ou bien l’installait là sur un tonneau de vin, là sur un chariot empli de foin, ou sur la margelle d’un puits.Son fils goûtait ces moments où il voyait ce père étrange que des populations tantôt timides et silencieuses, tantôt bruyantes de joie et de vie, venaient écouter, sur la place du village, à l’ombre d’une chapelle en ruine.Il l’aidait lorsqu’il se rendait auprès des pauvres, des malades et des mourants.Alors, tous deux se penchaient sur les plaies, les nettoyaient, les pansaient, comme les plaies de tout un monde en péril, un monde qui suintait, qui puait la douleur.Mais Escartille avait voulu que son fils ne soit pas seulement élevé à la dignité de l’esprit et de la charité.Il lui avait appris à se défendre auprès des meilleurs chevaliers de Raymond VI, puis de Raymond VII, non pour encourager sa violence, mais pour qu’il n’en fût pas aveuglé, et qu’il comprît le sens de Parage, ce code d’honneur de toute une civilisation – la leur.Aimery savait manier l’épée à une et deux mains ainsi que toutes les armes de jet ; il excellait dans le tir à l’arc et à l’arbalète, chevauchait avec adresse.Il était aimé des femmes et en avait aimé certaines.Pour Escartille, Aimery était toute sa vie.Depuis le traité de Meaux-Paris, Raymond VII avait tout tenté pour en amoindrir les conséquences.Il avait cherché à maintenir ses droits en Provence, avant que celle-ci ne lui échappe complètement.Mais les cathares n’étaient pas morts.En 1240, trois ans plus tôt, le fils de Raymond-Roger Trencavel s’était de nouveau révolté.Parti d’Espagne avec quelques chevaliers faidits et des corps de routiers, il n’avait obtenu que de petits succès avant d’échouer devant Carcassonne.Non, Parage n’était pas mort et les cathares non plus, mais la situation était précaire.L’Église avait inventé l’Inquisition.C’était pour lui échapper que, ces derniers temps, Escartille et Aimery s’étaient retranchés dans un refuge des montagnes pyrénéennes.Et voici qu’ils revenaient au cœur même du pays.Quelques jours plus tôt, les deux cavaliers avaient fait halte au sommet d’une colline, qui dominait les terres occitanes.L’air était encore frais en ce mois d’avril, mais les deux étaient cléments.Aimery, heureux de rompre avec la vacuité de cette retraite à laquelle lui et son père s’étaient provisoirement résolus, exultait.Il s’était agenouillé pour embrasser la terre et la saisir à pleines poignées, la laissant couler entre ses doigts.Escartille l’avait regardé longuement, pénétré lui aussi d’une émotion singulière.Il s’était revu comme autrefois, se tortillant sur sa selle, avec son chapeau à plume d’oie, son instrument de musique à ses côtés, sa tunique poussiéreuse et ses bottes trouées.Il se rappelait ce cheval à la robe rabougrie, prêt à s’effondrer à tout instant, qui l’avait conduit de Béziers à Carcassonne ; il se rappelait le nouveau-né cahotant contre sa poitrine ; et, bien sûr, les prisonniers de Bram, la châtelaine vaincue de Lavaur, et tout le reste.Aimery, aujourd’hui, avait trente-trois ans – l’âge même de cette guerre albigeoise, avec laquelle il était né.Une abondante chevelure noire tombait sur ses épaules, encadrant un visage noble, aux traits réguliers.Il portait une cape sombre ; un calice entremêlé de fleurs était brodé sur sa tunique, par-dessus sa cotte de mailles.L’écu glissé à son bras reprenait ce motif.Sa main droite était recouverte d’un gant de cuir.Loin au-dessus de lui, un faucon pèlerin décrivait des cercles dans l’espace.Aimery avait recueilli ce faucon peu de temps auparavant ; il l’avait trouvé blessé auprès d’un ruisseau, et s’était vite attaché à l’animal.Sa façon singulière de lui parler, de commander jusqu’aux révolutions que le rapace faisait dans le ciel, avait surpris Escartille, prompt à deviner là, chez son fils, une faculté insolite.L’oiseau était devenu pour eux un compagnon de route.Aimery, enfin, s’était redressé avant de se retourner vers Escartille et d’échanger avec lui un franc sourire.Les deux hommes s’étaient abandonnés de longs instants à la contemplation de ces vallées qui se déroulaient à leurs pieds.Les parfums entêtants de la région revenaient chanter en eux ; le cours des ruisseaux qui serpentaient entre les collines, la beauté des champs couchés sous le ciel, la silhouette des bourgs, des clochers et des châteaux, tout cela se rappelait soudain à eux, jaillissant de leur cœur.Ces visions si chères, qu’Aimery avait si patiemment, si secrètement espérées, scellaient enfin leur retour : celui du père et de son fils, qui entendait sourdre de ses entrailles le cri de ses premières années.À présent, ils se retrouvaient là, en cette forêt de Pamiers
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