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.Raoul s’approcha et dit à mi-voix :— Le petit Georges, vous pouvez pas savoir, c’était son portrait tout craché.Les mêmes manières.Des idées toutes pareilles aux siennes avec le goût de la culture et ce besoin de faire de la terre.La même maladie, quoi !— Je l’ai bien deviné, vous savez.Les hommes voudraient être immortels en ce monde.Dès qu’un enfant partage leurs aspirations, ils le voient les prolongeant indéfiniment.Mais l’éternité, ce n’est pas là qu’elle se situe.Ils se démenaient comme des possédés dans cette nuit étouffante et crissante de tous les insectes de la forêt que les lampes attiraient ici.Lorsque la besogne les rapprochait quelques minutes, ils parlaient de la qualité des conserves de bœuf, de la bonté du Tout-Puissant, de l’avenir des chemins de fer, de la nécessité de vendre de bonnes chaussures aux travailleurs des chantiers.À mesure que la nuit s’avançait vers le jour, cette folie de travail, d’organisation et de rangement s’intensifiait.Leur ballet se développait sans cesse d’un bout à l’autre de la maison selon des itinéraires qui, déjà, commençaient à s’inscrire en eux à la manière de vieilles habitudes.La fatigue pesait, mais elle était moins forte que le désir de mener à son terme ce rêve si longtemps nourri d’espérance tout au long du terrible hiver.Cette nuit de travail fiévreux entrait dans la joie de l’été comme la mort du petit Georges avait pris place dans les souffrances de la saison dure.33Stéphane et Raoul avaient emporté Alban sur sa chaise, à la maison, suivis par Catherine qui tenait la petite Louise dans ses bras.Puis, son père couché, le garçon avait voulu revenir dormir au magasin avec le coureur de bois.Le silence était sorti de la forêt pour assiéger les maisons.Çà et là, des feux de verdure continuaient de se consumer, enfumant tout, chassant mal la vermine qui montait des eaux.C’était le temps des nuits courtes, jamais vraiment obscures.Une clarté de lait imprégnait la forêt, coulant jusqu’à l’intérieur du baraquement où, les lampes éteintes, stagnait l’odeur du pétrole mêlée au parfum âcre des boucanes.Les deux hommes avaient déroulé leur couchage, Stéphane sur la banque et Raoul à même le plancher, au milieu de la pièce.Immobiles, remuant seulement pour se claquer de temps en temps le front ou une joue, ils devinaient cette vaste pièce où ils avaient installé tant de rayons que, malgré l’arrivage des denrées, elle paraissait encore vide.— Va en falloir, de la marchandise, pour remplir ça, observa Stéphane.— C’est sûr, seulement faut attendre un petit peu.Ça fait déjà gros d’avance.Et les intérêts sont pas donnés.— Toi, demanda le garçon, tu crois vraiment qu’on peut vivre tous sur une affaire de même ?— Avec la laverie, les godasses, si toi tu arrives à t’occuper comme y faut du magasin, vous devriez vous en tirer pas mal.Stéphane se souleva sur un coude et s’inclina au bord de la banque pour regarder vers le sol, en direction de son oncle dont seuls les yeux apparaissaient entre le haut du sac de toile et le rebord d’un bonnet de laine.— Et toi, demanda-t-il, qu’est-ce que tu veux faire ?Raoul hésita.Il remua un peu sans se découvrir.Le plancher craqua sous son poids déplacé.Là-bas, par l’entrée où la porte n’avait pas encore été posée, on voyait miroiter le fleuve, juste en aval du pont en construction.Des remous se creusaient, emportés par le courant.— Moi, finit par répondre le trappeur, je peux jamais moisir des éternités au même endroit.Je vais rester avec vous le temps que le commerce soit bien parti.Quand ça tournera rond, je reprendrai la piste.— T’as de la veine, soupira le garçon.— Y a des jours où je me le demande.Mais c’est comme ça, on peut pas discuter.— T’iras où ?— Écoute-moi bien, petit, ce que je vais te confier, j’en ai encore parlé à personne.Faut que ça reste entre nous.Je veux même pas que t’en souffles mot à tes parents.— Juré.J’dirai rien.Raoul remua encore, puis il demeura silencieux, écoutant la lente reptation de la nuit sur la toiture neuve.Stéphane écoutait aussi.— La traite des fourrures, reprit l’oncle, c’est plus ce que c’était quand j’ai commencé.Faut trouver mieux… Je crois bien que j’ai trouvé.Il se donna quelques instants.Il semblait hésiter encore.Tendu, Stéphane demeurait la joue gauche posée sur le bois de la banque, n’osant ni remuer ni questionner.Loin, sur l’autre rive, des chouettes s’appelaient.Déjà la lueur du jour grandissait, à peine verdâtre en direction du nord.Enfin, Raoul se décida.— Est-ce que tu te souviens de Jean-Baptiste ?— Le costaud qu’est venu te voir en avril ?— Oui.Lui.— Ce qu’il peut bouffer, ce gars-là.— Y boit pas mal aussi.Mais c’est un bon type.Franc du collier et tout.Tu peux lui demander sa chemise, si t’as froid y te la donnera.J’ai commencé avec lui, sur les canots.Figure-toi que quand il est venu, c’était pour me demander de m’associer… Il a découvert de l’or.Le mot demeura un moment entre eux, lumineux comme un bel astre ; tout enveloppé d’une auréole de silence.— Où ça ? demanda le garçon dans un souffle.— J’sais même pas exactement.Tu comprends, comme je pouvais pas aller avec lui tout de suite, je préférais qu’il me dise rien
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