[ Pobierz całość w formacie PDF ]
.Et au-delà de ces collines, mon père et ses compagnons tentaient d’apercevoir les feux des campements de Saladin qu’ils imaginaient sur un autre demi-cercle concentrique de rayon plus grand encore.Ils avaient enfin atteint cette première étape qu’ils s’étaient fixée en quittant qui sa chaumière, qui son château, qui son église, ils avaient atteint ce lieu où s’étaient donné rendez-vous toutes les forces de la chrétienté, cette ville qu’il leur faudrait reprendre avant de se lancer sur Jérusalem.Alors, silencieux, ils se sont assis un moment sur les pierres, ils se sont assis côte à côte, les vivants et les morts, ils se sont arrêtés en bordure du tableau pour attendre leur chef, car Frédéric de Souabe, traînant derrière lui dans sa besace de cuir souple la dernière relique de son père — ce crâne lourd du plus grand des rêves et de la foule des ombres —, avançait encore moins vite qu’eux, qui pourtant s’étaient crus immobiles.Ils se sont assis et ont contemplé la bataille qui faisait rage dans la plaine.Une pestilence sans nom montait de l’abîme saturé de soleil et de douleurs.Ils ont vu les croisés, écrasés comme fourmis au pied des murs d’Acre et leurs dépouilles entassées pour combler les fossés et faciliter l’échelade, tandis que les cavaliers de Saladin en profitaient pour attaquer à revers leur ville de tissu désertée et pour la ravager par le feu.Ils ont discerné une tour immense posée sur la mer, une tour que les chrétiens avaient embarquée sur un navire, grand comme une arche, et lancée contre la ville.Ils ont suivi du regard cette improbable construction, pleine à craquer d’hommes en armes, jusqu’à ce qu’elle se changeât en une torche incandescente et qu’elle fût avalée par les eaux.Ils ont assisté impuissants à la déroute terrestre et maritime de leur camp en attendant le crâne de cet empereur qui les avait poussés jusque-là.Imagine, toi qui m’écoutes, imagine la déception des Francs qui, de retour dans leurs cantonnements ruinés et encore sous le coup de leur double défaite, ont vu se traîner vers eux cette misérable escouade de mourants, dont les yeux immenses et vides semblaient dévorer les visages émaciés ; imagine l’amertume éprouvée par ceux qui espéraient depuis des mois l’arrivée imminente de cette armée du Saint Empire, qu’on leur décrivait comme la plus belle et la plus ordonnée du monde ; imagine leur stupeur quand ils ont compris que les renforts tant attendus se réduisaient à cette poignée de loqueteux affamés, à ces quelques pantins décharnés, manœuvrés par des ombres acariâtres venues jusqu’à eux pour réclamer leur dû.Chaque armée avait son jargon, ses quartiers, ses vivres, ses artisans et ses boutiques, et, sous les regards hostiles, Frédéric de Souabe cherchait un lieu où s’arrêter dans la pagaille des tentes.La disette commençait à sévir et nul ne se réjouissait à l’idée d’accueillir ces pouilleux chargés de leur seule folie, ces débris d’un désastre traînant un crâne dans une besace en cuir.On les soupçonnait de porter malheur et certains évitaient même d’effleurer leurs ombres de peur d’être contaminés par l’infortune.Comme enkystée dans l’esprit de mon père, j’ai entendu par ses oreilles les persiflages à l’entour, la masse malveillante des murmures accusant ces nouveaux venus de puer la mort.Les soldats, chacun en son patois, crachaient des mots durs sur leur passage, affirmant qu’il aurait mieux valu pour la chrétienté qu’ils mourussent tous noyés dans ce fleuve qui avait emporté leur chef.On leur a désigné un lopin de poussière un peu à l’écart, non loin du coin réservé aux lépreux.Insensible à la fatigue comme à la désespérance, Thierry II a aussitôt déplié son paquetage et mon père, qui l’assistait, s’est étonné de n’y trouver que de lourds traités de géométrie et d’architecture, contenant les principes des machines de guerre, et des rouleaux de parchemins couverts de notes et de dessins.À Antioche, l’archevêque avait échangé sa précieuse Bible enluminée contre les plans d’un ingénieux système de transmission de roues permettant de réduire le nombre d’hommes nécessaires à la mise en branle des engins de guerre les plus imposants.Mais, autour de cette extraordinaire esquisse, sans doute volée à quelque ingénieur sarrasin, toutes les notes étaient en arabe et cet élégant charabia rendait l’archevêque hystérique.À peine installé, il a sillonné les camps en compagnie de mon père à la recherche d’un homme suffisamment instruit pour les lui déchiffrer ainsi que d’artisans capables de réaliser la machine qui l’obsédait depuis le début du voyage et dont ce plan semblait résoudre l’épineux problème du poids.Si bien que, quelques jours à peine après son arrivée, on lui présentait un homme remarquable qui, ayant travaillé un temps à la cour de Saladin, a aussitôt reconnu en ce schéma le génie de Murda al-Tarsûsî, l’un des plus brillants ingénieurs musulmans de son temps
[ Pobierz całość w formacie PDF ]
Darmowy hosting zapewnia PRV.PL